Histoire
Les naissances de La Pesse
Jusqu’en 1832, l’histoire du village de Haute-Molune, devenu la Pesse en novembre 1907, se confond avec celle des Bouchoux qui s’appelait autrefois le Reculet, Bonneville, Esbochoux : ces deux communes n’ont constitué, jusqu’à la fin du 19e siècle, qu’une seule entité qui faisait partie de l’ancienne abbaye de Saint-Claude (autrefois Condat).
Une première charte, de l’époque de Charlemagne, définissant les limites de l’abbaye, y incluait les territoires actuels des Bouchoux et de La Pesse. Dans la séance du Conseil municipal du 25 avril 1831, le maire des Bouchoux fit la proposition de partager la commune en deux parties : l’une deviendrait Haute-Molune, l’autre resterait Les Bouchoux. Une majorité de conseillers approuva cette proposition.
En janvier 1832, une élection permit de nommer les conseillers de chacune de ces deux communes, désormais indépendantes. Le 8 février, une ordonnance royale de Louis-Philippe, entérina définitivement la création de la commune de la Haute-Molune. La commune bénéficia de son nom pendant 75 ans.
Vraisemblablement à la suite d’ambiguïtés d’appellation avec, d’une part, une commune : Les Molunes, et d’autre part, des lieux-dits : Basses-Molunes, Grande Molune, tous situés à proximité, le village de Haute-Molune fut rebaptisé La Pesse, par un décret de 1907, signé par Clémenceau et Fallières. Le nom de La Pesse est issu d’un mot patois qui veut dire « épicéa ».
Les colonisations et occupations successives
Quelques médailles anciennes recueillies en plusieurs points du pays et une hypothétique voie antique de Saint-Claude à Échallon passant au pied de la montagne de Beauregard, à l’est de la combe de Désertin, pourraient laisser supposer, sans preuves assurées, l’existence d’un premier habitat pendant la période gallo-romaine. Des Germains vinrent probablement en incursion dans ces lieux, du 6e au 7e siècle.
Certains noms de lieux, tels « Teppes-Maures » ou de chemins, « la Vie des Maures » et embranchement, « la Vie Sarrasine » évoquent un rapprochement avec l’époque de l’invasion des Sarrasins au 8e siècle. La pertinence des informations est insuffisante pour en tirer des conclusions définitives. Le Haut-Jura ne renfermant pas d’antiquités, l’occupation du territoire des Bouchoux et de la Pesse a un début assez obscur. Le pays commence à être habité et défriché après le 5e siècle, en particulier lors des règnes de Pépin et de Charlemagne. Cette région, en grande partie boisée, était aussi un lieu de pâturage. Elle devenait un refuge pendant les périodes d’invasions. Au 9e siècle, il ne devait y avoir qu’un très petit nombre de maisons isolées au milieu de quelques champs cultivés gagnés sur de vastes zones de pâturages et de forêts.
Les 9e et 10e siècles furent marqués par de nombreuses incursions normandes, hongroises et sarrasines. La principauté monastique de Saint-Oyent acheva sa formation et acquit le bénéfice du droit du premier occupant, du produit des défrichements et des donations.
Du 11e au 13e siècle, l’abbaye de Saint-Claude croît en nombre de moines et de terres défrichées. Trois types d’établissements marquent l’histoire monastique : l’abbaye, le prieuré, la celle ou grange. Très tôt, Les Bouchoux furent dotés d’une celle. Vers 1200 se construisit le prieuré de Cuttura, sur la rive droite du Tacon. L’arrivée de nombreux moines dans ces montagnes, favorisa l’accroissement de la population et contribua à la transformation du territoire. L’histoire de la colonisation des terres de l’abbaye de Saint-Claude, y compris de celles des Bouchoux et de La Pesse, ne peut être dissociée de ces vastes mouvements de populations qui vinrent de tous les pays savoyards. Ils venaient de Savoie, du Bugey, de Gex, de Vaud, de Gruyère, du Bas-Valais et ont profondément marqué de leurs cultures, de leurs patois, de leurs savoirs toutes ces terres du Haut-Jura. Ce sont des colons dauphinois qui apportèrent leurs connaissances de la fabrication du Sassenage devenu le Bleu de Septmoncel puis le Bleu de Gex et enfin, aujourd’hui, le Bleu de Gex/Haut-Jura. De même, les gens de Gruyère favorisèrent-ils l’implantation du gruyère dans ces territoires essentiellement producteurs de lait.
Les guerres et les pouvoirs
Au 14e siècle, les habitants de la terre de Saint-Oyend furent décimés par une terrible peste noire qui fit du Haut-Jura une terre quasi vide. Suivirent les « routiers » qui écumèrent la région et achevèrent le travail de mort qu’avait commencé la peste. Les forêts s’installèrent de nouveau sur ces terres défrichées depuis plusieurs générations. Bien plus tard, ce sont des colons venus de Suisse, du Bugey et de Savoie qui repeuplèrent et défrichèrent à nouveau ces territoires abandonnés. Dans le dernier quart du 15e siècle, Louis XI envahit les terres de Saint-Claude et détruisit entièrement le château de La Bastie. Mais la dévotion ramena Louis XI quelques années plus tard auprès des reliques de Saint-Claude. A cette époque, les huguenots, maîtres du Pays de Gex, menèrent de nombreuses incursions dévastatrices sur les terres des Bouchoux. Deux épidémies de peste, en 1630 et 1636, la guerre de Dix Ans, et une terrible famine de 8 années, ravagèrent encore le Haut-Jura et les terres se trouvèrent de nouveau à l’abandon. Seul, 10% de la population ne fut pas décimé au cours de ces funestes années.
Il fallut une nouvelle vague de colonisateurs, venus des mêmes régions qu’au 14e siècle, pour que ces terres sans occupants soient de nouveau habitées et cultivées. En 1639, les Français saccagèrent, et détruisirent par le feu, le prieuré et le village des Bouchoux. Lors de sa reconstruction, les habitations furent déplacées sur le sommet de l’éminence, emplacement qu’elles occupent encore aujourd’hui.En 1668, la Franche-Comté fut conquise en trois semaines par les armées de Louis XIV, puis, la paix signée, elle fut rendue à l’Espagne en mai de la même année.
De nouveau, de 1673 à 1674, les Français se lancèrent à la conquête de ce territoire. Cette guerre se conclut par une victoire et un traité qui cédait définitivement la Franche-Comté au royaume de France en 1678. Louis XIV y fit mettre en pratique les principes du centralisme, et en 1707, nomma à la tête de la Franche-Comté, un intendant aux pouvoirs très étendus, qui s’établit à Saint-Claude. En 1742, le prieuré des Bouchoux fut réuni à la mense (terrain) du chapitre de Saint-Claude. Il faut savoir qu’à cette époque, le prieur des Bouchoux était toujours propriétaire de 12000 serfs assujettis au régime de la mainmorte. A partir de 1770, de nombreuses voix s’élevèrent pour libérer ces paysans de leur asservissement dont celle particulièrement active de Voltaire. Ce n’est que peu de temps avant la Révolution de 1789 que les derniers serfs de France furent affranchis définitivement.
Comme dans d’autres provinces, la Révolution a été marquée par des rapports tendus entre les tenants de l’ancienne idéologie, principalement véhiculée par le clergé, et ceux de la nouvelle pensée républicaine. Un décret de novembre 1791 fit, par serment, obligation aux prêtres « fonctionnarisés », de maintenir la Constitution Civile. Aux Bouchoux, quelques citoyens, toujours partisans de la Monarchie ou un peu tièdes à l’égard du nouveau régime, furent poursuivis pour incivisme et certains condamnés à différentes formes de réclusion, tel un Bonneville qui, par un décret municipal d’avril 1793, fut assigné à résidence sans droit de sortie. En 1789, afin de combler l’énorme déficit du Trésor, les biens royaux et ceux du clergé furent décrétés Biens Nationaux. Aux Bouchoux, les Biens Nationaux intégrèrent ceux venant de Haute-Combe, Tailla, Bonneville, La Burne, Le Crêt, Cernois, Chevillois et Barbouillet. Certains propriétaires actuels de terres et de maisons ont eu leurs ancêtres de l’époque comme premiers acquéreurs de ces Biens Nationaux.
La période du 1er Empire fut marquée par une forte incorporation d’hommes aux armées napoléoniennes. Fin décembre 1814, une nouvelle coalition étrangère se forma contre l’Empire, traversa le Rhin et marcha sur Paris. L’armée de Bohème pénétra en France par Belfort et le Jura. Afin de répondre aux besoins de cette armée, de nombreuses réquisitions furent imposées aux autorités locales. De janvier à mai 1815, dans le canton des Bouchoux, de grandes quantités de viandes, céréales, fromages et beurre, farines, légumes secs et vin, ainsi que des animaux sur pieds et du fourrage, durent être mis à la disposition de l’armée du prince Schwarenberg. La situation de vie de la population locale, déjà dramatique, par les effets, sur le commerce, des guerres napoléoniennes, s’en trouva notablement aggravée. En ce début d’été 1815, la paix retrouvée, les paysans de ces rudes terres, pouvaient une fois encore envisager, comme tout au long des siècles passés, de reconstruire un territoire si souvent saccagé et pillé.
Comme partout en France, la guerre de 1870, puis celle, très meurtrière, de 1914-1918, mirent la population de La Pesse et des Bouchoux à contribution, en nombre de vies perdues : 30 morts pour La Pesse et 44 morts pour Les Bouchoux lors de la « Grande Guerre ».
Enfin, pour clore des siècles d’invasions, de guerres, de répressions, d’épidémies et de famines, ces terres du Haut-Jura eurent, elles aussi, à supporter l’occupation allemande de 1940 à 1945. Dès l’annonce du Service du Travail Obligatoire (STO), de nombreux habitants de La Pesse et des Bouchoux devinrent dans un premier temps des « réfractaires », par refus d’obtempérer aux ordres, puis rejoignirent les maquis de l’Ain, du Dauphiné et du Haut-Jura. En juillet 1944, plusieurs milliers d’hommes et de femmes appartenant à ces maquis furent contraints de se replier dans le Haut-Jura, notamment autour de La Borne au Lion, où le commandement du colonel Romans-Petit et un hôpital de campagne furent installés.
Après cette dernière guerre, les habitants de La Pesse et des Bouchoux reprirent, dans le calme retrouvé, leurs traditionnelles activités pastorales.
La diversification, une force pour le développement économique
Après les travaux de défrichement menés par des colonisateurs successifs, l’agriculture put s’installer. Les cultures céréalières ou potagères furent toujours relativement faibles compte tenu des surfaces de terres cultivables et fertiles.
L’élevage a occupé une place prépondérante dans cette économie agricole difficile. L’élevage caprin fut dominant pendant très longtemps. Le lait permettait la production d’un unique fromage : le chevret, et les poils des chèvres étaient utilisés pour la confection de vêtements. Ces troupeaux causèrent d’importants dégâts aux forêts.
La vache est apparue plus tardivement avec l’arrivée d’une race bretonne assez résistante. La présence des vaches et la qualité des pâtures a permis une augmentation substantielle de la production de lait vers de nouveaux types de fromages : les persillés. Ils ont ouvert la voie au Bleu de Gex/Haut-Jura que nous connaissons aujourd’hui. Jusqu’au début du 20e siècle, les fromages étaient fabriqués dans les fermes par les paysannes.
Le premier quart du 20e siècle a vu se développer des associations coopératives d’agriculteurs ou « fruitières » qui se mirent à produire les fromages avec des méthodes plus rigoureuses et une plus grande hygiène. En 1913-1914, la commune de La Pesse fit édifier un « chalet-modèle » pour la production de fromages. Par la suite, cette fruitière compléta son activité par un centre-école pour la formation des fromagers. De 1830 à 1939, plus de 40 fromageries couvraient un territoire allant de Saint-Germain-de-Joux à Lamoura. Depuis la dernière guerre, la chute du nombre de ces fromageries est impressionnant. Elles ne sont plus que quatre dont deux coopératives, celles des Moussières et de Chézery. La production fromagère à La Pesse s’est arrêtée en 1998 pour être transférée à la fromagerie des Moussières.
Par nécessité, et compte tenu de la longueur des hivers, les paysans s’ouvrirent à des activités issues de l’industrie ou de l’artisanat, telles l’horlogerie, la tabletterie et la fabrication d’articles particuliers, comme les chapelets ou les bibelots. À partir de 1750, depuis Septmoncel, la lapidairerie s’est étendue dans la région avoisinante. Après 1860, cette activité a permis d’éviter un dépeuplement massif de la montagne grâce à des revenus qui ont favorisé une plus grande aisance.
Dans les années 50, il y a encore une quarantaine d’exploitations agricoles à La Pesse et un bon niveau d’activités individuelles en lapidairerie, pendant l’hiver. Dans les années 60, un atelier lapidaire, installé face au chalet modèle, emploie une douzaine de personnes, avant de s’installer en 1993 aux Moussières. Le tourisme s’intensifie et une remontée mécanique, pour le ski, est installée au cœur du village de La Pesse.
Au cours des années 70, un atelier de polissage s’installe à l’entrée du village juste avant la fromagerie et fonctionne pendant quelques années. Durant cette décennie, naît l’AGAD : Association pour la Gestion, l’Aménagement et le Développement de La Pesse. Issue de la rencontre de plusieurs personnalités locales et étrangères, elle participa largement à l’évolution touristique du village.
Reportage de FR3 Franche-Comté sur l’AGAD de La Pesse diffusé le 29 janvier 1983
Dans les années 80, une fabrique de boîtes en carton pour le fromage transfère ses activités des Bouchoux à La Pesse. Elle ferme quelques années après. L’AGAD dut stopper ses activités en 1987 et certains de ses animateurs se reconvertirent dans de nouveaux métiers. C’est ainsi que furent créées, à La Pesse, les entreprises « La Pessière », constructeur de maisons en bois rond et « Antipode », fabricant de traîneaux à chiens.
Depuis 1985, les activités liées au tourisme se développent, la population est en progression, et par sa structure économique diversifiée et importante, La Pesse échappe au risque de n’être qu’un village-dortoir pour Oyonnax et Saint-Claude ou de n’être plus qu’une suite de maisons secondaires, désertées hors des périodes de vacances.
Dernière mise à jour: juin 2017